Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des rêveurs ; nous nous faisons gloire d’entendre moins bien qu’eux la routine de la vie, nous aimons à proclamer nos études inutiles ; leur mépris est pour nous ce qui les relève. Les immoraux et les athées, ce sont ces hommes, fermés à tous les airs venant d’en haut. L’athée, c’est l’indifférent, c’est l’homme superficiel et léger, celui qui n’a d’autre culte que l’intérêt et la jouissance. L’Angleterre, en apparence un des pays du monde les plus religieux, est en effet le plus athée car c’est le moins idéal. Je ne veux pas faire comme les déclamateurs latins le convicium seculi. Je crois qu’il y a dans les âmes du xixe siècle tout autant de besoins intellectuels que dans celles d’aucune autre époque, et je tiens pour certain qu’il n’y a jamais eu autant d’esprits ouverts à la critique. Le malheur est que la frivolité générale les condamne à former un monde à part, et que l’aristocratie du siècle, qui est celle de la richesse, ait généralement perdu le sens idéal de la vie. J’en parle par conjecture ; car ce monde m’est entièrement inconnu, et je pourrais plus facilement citer d’illustres exceptions que dire précisément ceux sur qui tombe ici mon reproche. Il me semble toutefois qu’une société qui de fait n’encourage qu’une misérable littérature, où tout est réduit à une affaire d’aunage et de charpentage, qu’une société, qui ne voit pas de milieu entre l’absence d’idées morales et une religion qu’elle a préalablement désossée pour se la rendre plus acceptable, qu’une telle société, dis-je, est loin des sentiments vrais et grands de l’humanité. L’avenir est dans ceux qui, embrassant sérieusement la vie, reviennent au fond éternel du vrai, c’est-à-dire à la nature humaine, prise dans son milieu et non dans ses raffinements extrêmes. Car l’humanité sera toujours sérieuse, croyante, religieuse ; jamais la légèreté qui