Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/105

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ne croit à rien ne tiendra la première place dans les affaires humaines.

Il ne faut pas, ce semble, prendre trop au sérieux ces déclamations devenues banales contre les tendances utilitaires et réalistes de notre époque, et si quelque chose devait prouver que ces lamentations sont peu sincères, c’est l’étrange résignation avec laquelle ceux qui les font se soumettent eux-mêmes à la fatale nécessité du siècle. Presque tous en effet semblent assez disposés à dire en finissant :

 Oh ! le bon temps que le siècle de fer !

Quelque opinion qu’on se fasse sur les tendances du xixe siècle, il serait juste au moins de reconnaître que, la somme d’activité ayant augmenté, il a pu y avoir accroissement d’un côté, sans qu’il y eut déchet de l’autre. Il est parfaitement incontestable qu’il y a de nos jours plus d’activité commerciale et industrielle qu’au xe siècle, par exemple. En conclura-t-on que ce dernier siècle fut mieux partagé sous le rapport de l’activité intellectuelle ?

Il y a là une sorte d’illusion d’optique fort dangereuse en histoire. Le siècle présent n’apparaît jamais qu’à travers un nuage de poussière soulevé par le tumulte de la vie réelle ; on a peine à distinguer dans ce tourbillon les formes belles et pures de l’idéal. Au contraire, ce nuage des petits intérêts étant tombé pour le passé, il nous apparaît grave, sévère, désintéressé. Ne le voyant que dans ses livres et dans ses monuments, dans sa pensée en un mot, nous sommes tentés de croire qu’on ne faisait alors que penser. Ce n’est pas le fracas de la rue et du comptoir qui passe à la postérité. Quand l’avenir nous verra dégagés de ce tumulte étourdissant, il nous jugera