Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/147

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tiraient parti, per alcuni denari, de la connaissance qu’ils possédaient de la langue grecque. Pour un Bessarion, on avait cent Philelphes. Les lexicographes ne sont pas en général de très grands philosophes, et pourtant le plus beau livre de généralités n’a pas eu sur la haute science une aussi grande influence que le dictionnaire très médiocrement philosophique par lequel Wilson a rendu possible en Europe les études sanskrites. Il est des œuvres de patience, auxquelles s’astreindraient difficilement des hommes travaillés de besoins philosophiques trop exigeants. Des esprits vifs et élevés auraient-ils mené à fin ces immenses travaux sortis des ateliers scientifiques de la congrégation de Saint-Maur ? Tout travail scientifique, conduit suivant une saine méthode, conserve une incontestable valeur, quelle que soit l’étendue des vues de l’auteur. Les seuls travaux inutiles sont ceux où l’esprit superficiel et le charlatanisme prétendent imiter les allures de la vraie science, et ceux où l’auteur, obéissant à une pensée intéressée ou aux rêves préconçus de son imagination, veut à tout prix retrouver partout ses chimères.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire que l’ouvrier ait la connaissance parfaite de l’œuvre qu’il exécute, il serait pourtant bien à souhaiter que ceux qui se livrent aux travaux spéciaux eussent l’idée de l’ensemble qui seul donne du prix à leurs recherches. Si tant de laborieux travailleurs, auxquels la science moderne doit ses progrès, eussent eu l’intelligence philosophique de ce qu’ils faisaient, s’ils eussent vu dans l’érudition autre chose qu’une satisfaction de leur vanité ou de leur curiosité, que de moments précieux ménagés, que d’excursions stériles épargnées, que de vies consacrées à des travaux insigni-