Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/153

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droit au titre de philologues, et nous saisissons en effet entre ces études diverses un rapport suffisant pour les appeler d’un nom commun. C’est qu’il en est du mot de philologie comme de celui de philosophie, de poésie et de tant d’autres dont le vague même est expressif. Quand on cherche, d’après les habitudes des logiciens, à trouver une phrase équivalente à ces mots compréhensifs, et qui en soit la définition, l’embarras est grand, parce qu’ils n’ont ni dans leur objet ni dans leur méthode rien qui les caractérise uniquement. Socrate, Diogène, Pascal, Voltaire sont appelés philosophes ; Homère, Aristophane, Lucrèce, Martial, Chaulieu et Lamartine sont appelés poètes, sans qu’il soit facile de trouver le lien de parenté qui réunit sous un même nom des esprits si divers. De telles appellations n’ont pas été formées sur des notions d’avance définies ; elles doivent leur origine à des procédés plus libres et au fond plus exacts que ceux de la logique artificielle. Ces mots désignent des régions de l’esprit humain entre lesquelles il faut se garder de tracer des démarcations trop rigoureuses. Où finit l’éloquence, où commence la poésie (52) ? Platon est-il poète, est-il philosophe ? Questions bien inutiles sans doute, puisque, quelque nom qu’on lui donne, il n’en sera pas moins admirable, et que les génies ne travaillent pas dans les catégories exclusives que le langage forme après coup sur leurs œuvres. Toute la différence consiste en une harmonie particulière, un timbre plus ou moins sonore, sur lequel un sens exercé n’hésite jamais.

L’antiquité, en cela plus sage, et plus rapprochée de l’origine de ces mots, les appliquait avec moins d’embarras. Le sens si complexe de son mot de grammaire ne lui causait aucune hésitation. Depuis que nous avons dressé une