Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/202

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tous les siècles, dans ses variétés et ses nuances), peut être considéré comme un exemple de cette psychologie historique. La psychologie ordinaire ressemble trop à cette littérature qui, à force de représenter l’humanité dans ses traits généraux et de repousser la couleur locale et individuelle, expira faute de vie propre et d’originalité.

Je crois avoir puisé dans l’étude comparée des littératures une idée beaucoup plus large de la nature humaine que celle qu’on se forme d’ordinaire. Sans doute il y a de l’universel et des éléments communs dans la nature humaine. Sans doute on peut dire qu’il n’y a qu’une psychologie, comme on peut dire qu’il n’y a qu’une littérature, puisque toutes les littératures vivent sur le même fond commun de sentiments et d’idées. Mais cet universel n’est pas où l’on pense, et c’est fausser la couleur des faits que d’appliquer une théorie raide et inflexible à l’homme des différentes époques. Ce qui est universel, ce sont les grandes divisions et les grands besoins de la nature : ce sont, si j’ose le dire, les casiers naturels, remplis successivement par ces formes diverses et variables religion, poésie, morale, etc. À n’envisager que le passé de l’humanité, la religion, par exemple, semblerait essentielle à la nature humaine et pourtant la religion dans les formes anciennes est destinée à disparaitre. Ce qui restera, c’est la place qu’elle remplissait, le besoin auquel elle correspondait, et qui sera satisfait un jour par quelque autre chose analogue. La morale elle-même, en attachant à ce mot l’acception complète et quasi évangélique que nous lui donnons, a-t-elle été une forme de tous les temps ? Une analyse peu délicate, peu soucieuse de la différente physionomie des faits, pourrait l’affirmer. La vraie psychologie, qui prend soin de ne pas désigner