Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/203

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par le même nom des faits de couleur différente quoique analogues, ne peut pas s’y décider. Le mot morale est-il applicable à la forme que revêtait l’idée du bien dans les vieilles civilisations arabe, hébraïque, chinoise, qu’il revêt encore chez les peuples sauvages, etc. ? Je ne fais pas ici une de ces objections banales, tant de fois répétées depuis Montaigne et Bayle, et où l’on cherche à établir par quelques divergences ou quelques équivoques que certains peuples ont manqué du sens moral. Je reconnais que le sens moral ou ses équivalents sont de l’essence de l’humanité ; mais je maintiens que c’est parler inexactement que d’appliquer la même dénomination à des faits si divers. Il y a dans l’humanité une faculté ou un besoin, une capacité, en un mot, qui est comblée de nos jours par la morale, et qui l’a toujours été et le sera toujours par quelque chose d’analogue. Je conçois de même pour l’avenir que le mot morale devienne impropre et soit remplacé par un autre. Pour mon usage particulier, j’y substitue de préférence le nom d’esthétique. En face d’une action, je me demande plutôt si elle est belle ou laide, que bonne ou mauvaise, et je crois avoir là un bon criterium ; car avec la simple morale qui fait l’honnête homme, on peut encore mener une assez mesquine vie. Quoi qu’il en soit, l’immuable ne doit être cherché que dans les divisions mêmes de la nature humaine, dans ses compartiments, si j’ose le dire, et non dans les formes qui s’y ajustent et peuvent se remplacer par des succédanés. C’est quelque chose d’analogue au fait des substitutions chimiques, où des corps analogues peuvent tour à tour remplir les mêmes cadres.

La Chine m’offre l’exemple le plus propre à éclaircir ce que je viens de dire. Il serait tout à fait inexact de