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dire que la Chine est une nation sans morale, sans religion, sans mythologie, sans Dieu ; elle serait alors un monstre dans l’humanité, et pourtant il est certain que la Chine n’a ni morale, ni religion, ni mythologie, ni Dieu, au sens où nous l’entendons. La théologie et le surnaturel n’occupent aucune place dans l’esprit de ce peuple, et Confucius n’a fait que se conformer à l’esprit de sa nation en détournant ses disciples de l’étude des choses divines (81). Tel est le vague des idées des Chinois sur la Divinité que, depuis saint François Xavier, les missionnaires ont été dans le plus grand embarras pour trouver un terme chinois signifiant Dieu. Les catholiques, après beaucoup de tâtonnements, ont fini par s’accorder sur un mot ; mais lorsque les protestants ont commencé, il y a une trentaine d’années, à traduire la Bible en chinois, les difficultés se sont de nouveau présentées. La variété des termes employés pour désigner Dieu par les différents missionnaires protestants devint telle qu’il fallut recourir à un concile, qui ne décida rien, ce semble, puisque M. Medhurst, qui a écrit récemment une dissertation spéciale sur ce sujet, imprimée à Schang-Haï, en Chine, se borne encore à discuter le sens dans lequel les auteurs classiques se servent de chacun des termes qu’on a proposés comme équivalents du mot Dieu. On pourrait faire des observations analogues sur la morale et le culte, et prouver que la morale n’est guère aux yeux des Chinois que l’observation d’un cérémonial établi et le culte que le respect des ancêtres. M. Saint-Marc-Girardin, comparant l’Orphelin de la Chine de Voltaire à l’original chinois, a fort bien fait ressortir comment la passion et le pathétique disparaissent dans le système chinois, pour devenir calcul du devoir, comment la fa-