Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/214

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quand on sait le rapporter à sa fin : mais il faut bien se persuader que la médiocrité n’a de valeur que dans le tout dont elle fait partie.

L’étude des littératures anciennes de l’Orient a-t-elle du moins une valeur propre et indépendante de l’histoire de l’esprit humain ? Je l’avoue, il y a dans ces vieilles productions de l’Asie une réelle et incontestable beauté. Job et Isaïe, le Ramayan et le Mahabharat, les poèmes arabes antéislamiques sont beaux au même titre qu’Homère. Or, si nous analysons le sentiment que produisent en nous ces œuvres antiques, à quel titre leur décernons-nous le prix de la beauté ? Nous admirons une méditation de M. de Lamartine, une tragédie de Schiller, un chant de Gœthe, parce que nous y retrouvons notre idéal. Est-ce notre idéal que nous trouvons également dans les poétiques dissertations de Job, dans les suaves cantiques des Hébreux, dans le tableau de la vie arabe d’Antara, dans les hymnes du Véda, dans les admirables épisodes de Nat et Damayanti, de Yadjnadatta, de Savitri, de la descente de la Ganga ? Est-ce notre idéal que nous trouvons dans une figure symbolique d’Oum ou de Brahma, dans une pyramide égyptienne, dans les cavernes d’Élora ? Non certes. Nous n’admirons qu’à la condition de nous reporter au temps auquel appartiennent ces monuments, de nous pincer dans le milieu de l’esprit humain, d’envisager tout cela comme l’éternelle végétation de la force cachée. C’est pour cela que les esprits étroits et peu flexibles, qui jugent ces antiques productions en restant obstinément au point de vue moderne, ne peuvent se résoudre à les admirer, ou y admirent précisément ce qui n’est pas admirable ou ce qui n’y est pas (89). Présentez donc le mythe des Marouths ou les visions d’Ézé-