Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/244

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De l’aveu même des Israélites, la littérature talmudicorabbinique ne sera plus étudiée de personne dans un siècle. Quand ces livres n’auront plus d’intérêt religieux, nul n’aura le courage d’aborder ce chaos. Et pourtant il y a là des trésors pour la critique et l’histoire de l’esprit humain. Ne serait-il pas urgent de mettre à profit les cinq ou six hommes de la génération actuelle qui seuls seraient compétents pour mettre en lumière ces précieux documents ? Je vous affirme que les quelques cent mille francs qu’un ministre de l’instruction publique y affecterait seraient mieux employés que les trois quarts de ceux que l’on consacre aux lettres. Mais ce ministre-là devrait aussi se cuirasser d’avance contre les épigrammes des badauds et même des gens de lettres, qui n’imagineraient pas comment on peut employer à de pareilles sottises l’argent des contribuables.

C’est la loi de la science comme de toutes les œuvres humaines de s’esquisser largement et avec un grand entourage de superflu. L’humanité ne s’assimile définitivement qu’un bien petit nombre des éléments dont elle fait sa nourriture. Les parties qui se sont trouvées éliminées ont-elles été inutiles et n’ont-elles joué aucun rôle dans l’acte de sa nutrition ? Non certes ; elles ont servi à faire passer le reste, elles étaient tellement unies à la portion nutritive que celle-ci n’aurait pu sans superflu être prise ni digérée. Ouvrez un recueil d’épigraphie antique. Sur cent inscriptions, une ou deux peut-être offrent un véritable intérêt. Mais si on n’avait déchiffré les autres, comment aurait-on su que parmi elles il n’y en avait pas de plus importantes encore ? Ce n’est pas même un luxe superflu d’avoir publié celles qui semblent inutiles, car il se peut faire que telle qui nous paraît maintenant insigni-