Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/252

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même, nous chercherons à enrichir l’esprit humain par nos aperçus, bien plus qu’à faire lire l’expression même de nos pensées. Nous souhaitons que notre nom reste bien plus que notre livre. Notre immortalité consiste à insérer dans le mouvement de l’esprit un élément qui ne périra pas, et en ce sens nous pouvons dire comme autrefois : Exegi monumentum œre perennius, puisque un résultat, un acte dans l’humanité est immortel, par la modification qu’il introduit à tout jamais dans la série des choses. Les résultats de tel livre obscur et tombé en poussière durent encore et dureront éternellement. L’histoire littéraire est destinée à remplacer en grande partie la lecture directe des œuvres de l’esprit humain. Qui est-ce qui lit aujourd’hui les œuvres polémiques de Voltaire ? Et pourtant quels livres ont jamais exercé une influence plus profonde ? La lecture des auteurs du xviie siècle est certes éminemment utile pour faire connaître l’état intellectuel de cette époque. Je regarde pourtant comme à peu près perdu pour l’acquisition des données positives le temps qu’on donne à cette lecture. Il n’y a là rien à apprendre en fait de vues et d’idées philosophiques, et je ne conçois guère, je l’avoue, que le résultat d’une éducation complète soit de savoir par cœur La Bruyère, Massillon, Jean-Baptiste Rousseau, Boileau, qui n’ont plus grand’chose à faire avec nous, et qu’un jeune homme puisse avoir terminé ses classes sans connaître Villemain, Guizot, Thiers, Cousin, Quinet, Michelet, Lamartine, Sainte-Beuve. Nul plus que moi n’admire le xviiie siècle à sa place dans l’histoire de l’esprit humain ; mais je me révolte dès qu’on veut faire de cette pensée lourde et sans critique le modèle de la beauté absolue. Quel livre, grand Dieu ! que l’Histoire universelle, objet d’une admiration conventionnelle, œuvre