Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/290

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la critique moderne. La chronologie n’est presque rien dans l’histoire de l’humanité. Un concours de causes peut obscurcir de nouveau la réflexion et faire revivre les instincts des premiers jours. Voilà comment, à la veille des temps modernes, et après les grandes civilisations de l’antiquité, le moyen âge a rappelé de nouveau les temps homériques et l’âge de l’enfance de l’humanité. La théorie du primitif de l’esprit humain, si indispensable pour la connaissance de l’esprit humain lui-même, est notre grande découverte, et a introduit dans la science philosophique des données profondément nouvelles. La vieille école cartésienne prenait l’homme d’une façon abstraite, générale, uniforme. On faisait l’histoire de l’individu, comme quelques Allemands font encore l’histoire de l’humanité, a priori et sans s’embarrasser des nuances que les faits seuls peuvent révéler. Que dis-je, son histoire ? il n’y avait pas d’histoire pour cet être sans génialité propre, qui voyait tout en Dieu, comme les anges. Tout était dit quand on s’était demandé s’il pense toujours, si les sens le trompent, si les corps existent, si les bêtes ont une âme. Et que pouvaient savoir de l’homme vivant et sentant ces durs personnages en robe longue des parlements, de Port-Royal, de l’Oratoire, coupant l’homme en deux parties, le corps, l’âme, sans lieu ni passage entre les deux, se défendant par là d’étudier la vie dans sa parfaite naïveté (112) ? On raconte d’étranges choses de l’insensibilité et de la dureté de Malebranche, et cela devait être. Ce n’est pas dans le monde abstrait de la raison pure qu’on devient sympathique à la vie ; tout ce qui touche et émeut tient toujours un peu au corps. Pour nous, nous avons transporté le champ de la science de l’homme. C’est sa vie que nous voulons savoir ;