Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/291

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or, la vie, c’est le corps et l’âme, non pas posés vis-à-vis l’un de l’autre comme deux horloges qui battent ensemble, non pas soudés comme deux métaux différents, mais unifiés dans un grand phénomène à deux faces, qu’on ne peut scinder sans le détruire.

Notre science de l’homme n’est donc plus une abstraction, quelque chose qui peut se faire a priori et par des considérations générales ; c’est l’expérimentation universelle de la vie humaine, et par conséquent l’étude de tous les produits de son activité, surtout de son activité spontanée. Je préfère aux plus belles disquisitions cartésiennes la théorie de la poésie primitive et de l’épopée nationale, telle que Wolf l’avait entrevue, telle que l’étude comparée des littératures l’a définitivement arrêtée. Si quelque chose peut faire comprendre la portée de la critique et l’importance des découvertes qu’on doit en attendre, c’est assurément d’avoir expliqué par les mêmes lois Homère et le Ramayana, les Niebelungen et le Schahnameh, les romances du Cid, nos chansons de Gestes, les chants héroïques de l’Écosse et de la Scandinavie (113) ! Il y a des traits de l’humanité susceptibles d’être fixés une fois pour toutes, et pour lesquels les peintures les plus anciennes sont les meilleures. Homère, la Bible et les Védas seront éternels. On les lira, lorsque les œuvres intermédiaires seront tombées dans l’oubli ; ce seront à jamais les livres sacrés de l’humanité. Aux deux phases de la pensée humaine correspondent, en effet, deux sortes de littératures : — littératures primitives, jets naïfs de la spontanéité des peuples, fleurs rustiques mais naturelles, expressions immédiates du génie et des traditions nationales ; — littératures réfléchies, bien plus individuelles, et pour lesquelles les questions d’authenticité et d’intégrité,