Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/303

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de l’originalité de la nature humaine ni de son caractère propre, tandis qu’une œuvre où la fantaisie et la sensibilité ont une large part est bien plus humaine, et par conséquent plus adaptée à l’étude expérimentale des instincts de la nature psychologique.

De la l’immense intérêt de tout ce qui est religieux et populaire, des récits primitifs, des fables, des croyances superstitieuses. Chaque nation y dépense de son âme, les crée de sa substance. Tacite, quel que soit son talent pour peindre la nature humaine, renferme moins de vraie psychologie que la narration naïve et crédule des Évangiles. C’est que la narration de Tacite est objective ; il raconte ou cherche à raconter les choses et leurs causes telles qu’elles furent en effet ; la narration des évangélistes au contraire est subjective : ils ne racontent pas les choses, mais le jugement qu’ils ont porté des choses, la façon dont ils les ont appréciées. Qu’on me permette un exemple : En passant le soir auprès d’un cimetière, j’ai été poursuivi par un feu follet ; en racontant mon aventure, je m’exprimerai de la sorte « Le soir en passant auprès du cimetière, j’ai été poursuivi par un feu follet ». Une paysanne au contraire, qui a perdu son frère quelques jours auparavant, et à laquelle sera arrivée la même aventure, s’exprimera ainsi « Le soir en passant auprès du cimetière, j’ai été poursuivie par l’âme de mon frère ». Voilà deux narrations du même fait, parfaitement véraces. Qu’est-ce donc qui fait leur différence ? C’est que la première raconte le fait dans sa réalité toute nue, et que la seconde mêle à ce récit un élément subjectif, une appréciation, un jugement, une manière de voir du narrateur. La première narration était simple, la seconde est complexe et mêle à l’affirmation du fait un