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compositions dogmatiques de l’Asie occidentale et méridionale. Quoi qu’il en soit, il est certain que l’existence du livre sacré est le criterium qui doit servir à classer les religions, parce qu’il est l’indice d’un caractère plus profond, l’organisation dogmatique. Il est certain aussi que l’Orient nous apparaît comme le sol des grandes religions organisées. L’Orient a toujours vécu dans cet état psychologique où naissent les mythes. Jamais il n’est arrivé à cette clarté parfaite de la conscience qui est le rationalisme. L’Orient n’a jamais compris la véritable grandeur philosophique, qui n’a pas besoin de miracles. Il fait peu de cas d’un sage qui n’est pas thaumaturge (123). Le livre sacré est une production exclusivement asiatique. L’Europe n’en a pas créé un seul (124).

Un autre caractère non moins essentiel, et qui peut servir aussi bien que le livre sacré à distinguer les religions organisées, c’est la tolérance ou l’exclusivisme. Les vieux cultes mythologiques, ne se donnant pas pour la forme absolue de religion, mais se posant comme formes locales, n’excluaient par les autres cultes.


J’ai mon Dieu, que je sers ; vous servirez le vôtre ;
Ce sont deux puissants dieux.


Voilà la pure expression de cette forme religieuse. Chaque nation, chaque ville a ses dieux, plus ou moins puissants ; il est tout naturel qu’elle ne serve pas ceux d’une autre ville. Jéhova lui-même n’est souvent que le Dieu de Jacob, ayant pour son peuple les mêmes sentiments de partialité nationale que les autres déités locales. De là ces défis sur la puissance respective des dieux, chaque nation tenant à ce que les siens soient les plus forts, mais qui n’impliquent nullement qu’ils soient seuls