Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/330

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primitifs où s’incarnait la doctrine, de ces demi-dieux qui servent d’ancêtres religieux à tous les peuples, Orphée, Thoth, Moïse, Zoroastre, Vyasa, Fohi, à la fois savants, poètes, législateurs, organisateurs sociaux et, comme résumé de tout cela, prêtres et mystagogues. Ce type admirable se continue encore quelque temps dans les premiers âges de la réflexion analytique ; il produit alors ces sages primitifs, qui ne sont déjà plus des mystagogues, mais ne sont pas encore des philosophes, et qui ont aussi leur légende (biographie fabuleuse), mais bien moins créée que celle des initiateurs (mythe pur). tels sont Confucius, Lao-Tseu, Salomon, Locman, Pythagore, Empédocle, qui confinent aux premiers philosophes par les types encore plus adoucis de Solon, Zaleucus, Numa, etc.

Tel est l’esprit humain des âges primitifs. Il a sa beauté, dont n’approche pas notre timide analyse. C’est la vie divine de l’enfance, où Dieu se révèle de si près à ceux qui savent adorer. J’aime tout autant que M. de Maistre cette sagesse antique, portant la couronne du sage et la robe sacerdotale. Je la regrette ; mais je n’injurie pas pour cela les siècles dévoués à l’œuvre pénible de l’analyse, lesquels, tout inférieurs qu’ils sont par certaines faces, représentent après tout un progrès nécessaire de l’esprit humain.

L’esprit humain, en effet, ne peut demeurer en cette unité primitive. La pensée, en s’appliquant plus attentivement aux objets, reconnait leur complexité et la nécessité de les étudier partie par partie. La pensée primitive n’avait vu qu’un seul monde ; la pensée à son second âge aperçoit mille mondes, ou plutôt elle voit un monde en toute chose. Sa vue, au lieu de s’étendre, perce et plonge au lieu de se diriger horizontalement, elle se