Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/337

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systèmes n’a lieu qu’autant que leur production est parfaitement spontanée, et que leurs auteurs, sans songer à se devancer les uns les autres, ne sont attentifs qu’à la considération intrinsèque et objective des choses. Négliger cette importante condition, c’est livrer le développement de l’esprit humain au hasard ou aux ridicules prétentions de quelques hommes présomptueux et vains (137).

La critique ne sait pas assimiler. L’éclectisme dogmatique n’est possible qu’à la condition de l’à-peu-près. Nos tentatives de fusion entre les doctrines échouent, parce que nous les savons trop bien. Les premiers chrétiens, les Alexandrins, les Arabes, le moyen âge, Mahomet pouvaient pratiquer un éclectisme bien plus puissant que le nôtre, car il était plus grossier. Ils savaient moins exactement que nous, et ils avaient moins de critique ces éléments qu’ils mêlaient, ils ne savaient d’où ils venaient. On amalgame alors sans scrupule, on mélange le tout sans y regarder de si prés, on y met son originalité sans le savoir. La critique, au contraire, ne sait pas digérer ; les morceaux restent entiers ; on voit trop bien les différences. Le dogme de la Trinité ne se serait pas formé si les docteurs chrétiens eussent tenu compte des mille nuances que nous voyons. L’éclectisme moderne est excellent comme principe de critique, stérile comme tentative de fusion dogmatique ; il ne sera jamais qu’une marqueterie, une juxtaposition de morceaux distincts. Autrefois, un esprit nouveau ou des institutions nouvelles se formaient par un mélange intime de disparates, comme nos plus grossiers aliments transformés par la cuisson. On prenait tant bien que mal les institutions ou les dogmes du passé, et on se les accommodait à sa guise. Le moyen âge se faisait un Empire avec de vieux et très inexacts