Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/338

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souvenirs. S’il avait su l’histoire aussi bien que nous, il ne se fût pas permis cette belle fantaisie. Le contresens avait une large part dans ces étranges créations, et j’espère montrer un jour le rôle qu’il a joué dans la formation de nos dogmes les plus essentiels ; ou plutôt l’esprit sans critique voulait à tout prix retrouver sa pensée dans le passé, et arrangeait pour cela le passé à sa guise. Certes, voilà une science grossière s’il en fut jamais. Eh bien elle créait plus que la nôtre, grâce à sa grossièreté même. La vue nette et fine ne sert qu’à distinguer ; l’analyse n’est jamais que l’analyse.

Et pourtant l’analyse est, à sa manière, un progrès. Dans le syncrétisme, tous les éléments étaient entassés sans cette exacte distinction qui caractérise l’analyse, sans cette belle unité qui résulte de la parfaite synthèse. Ce n’est qu’au second degré que les parties commencent à se dessiner avec netteté, et cela, il faut l’avouer, aux dépens de l’unité, dont l’état primitif offrait au moins quelque apparence. Alors, c’est la multiplicité, c’est la division qui domine, jusqu’à ce que la synthèse, venant ressaisir ces parties isolées, lesquelles ayant vécu à part ont désormais la conscience d’elles-mêmes, les fonde de nouveau dans une unité supérieure.

Au fond, cette grande loi n’est pas seulement la loi de l’intelligence humaine (138). Évolution d’un germe primitif et syncrétique par l’analyse de ses membres, et nouvelle unité résultant de cette analyse, telle est la loi de tout ce qui vit. Un germe est posé, renfermant en puissance, sans distinction, tout ce que l’être sera un jour le germe se développe, les formes se constituent dans leurs proportions régulières, ce qui était en puissance devient un acte ; mais rien ne se crée, rien ne s’ajoute. Je me suis