Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/342

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penseurs des premiers âges, qui cherchaient à improviser pour eux un système des choses plutôt qu’à recueillir pour l’avenir les éléments de la solution. Notre méthode est par excellence la méthode désintéressée ; nous ne travaillons pas pour nous ; nous consentons à ignorer, afin que l’avenir sache ; nous travaillons pour l’humanité.

Cette patiente et sévère méthode me semble convenir à la France, celui de tous les pays qui a pratiqué avec le plus de fermeté la méthode positive, mais aussi celui de tous où la haute spéculation a été le plus stérile. Sans accepter dans toute son étendue le reproche que l’Allemagne adresse à notre patrie, de n’entendre absolument rien en religion ni en métaphysique, je reconnais que le sens religieux est très faible en France, et c’est précisément pour cela que nous tenons plus que d’autres en religion à d’étroites formules excluant tout idéal. C’est pour cela que la France ne verra jamais de milieu entre le catholicisme le plus sévère et l’incrédulité ; c’est pour cela qu’on a tant de peine à y faire comprendre que, pour n’être pas catholique, l’on n’est pas voltairien. Les spéculations métaphysiques de l’école française (j’excepterai, si vous voulez, Malebranche) ont toujours été mesquines et timides. La vraie philosophie française est la philosophie scientifique des Dalembert, des Cuvier, des Geoffroy Saint-Hilaire. Le développement théologique y a été complètement nul ; il n’y a pas de pays en Europe où la pensée religieuse ait moins travaillé. Chose étrange ! ces hommes si fins, si délicats, si habiles à saisir dans la vie pratique les nuances les plus déliées, sont de vrais badauds pour les choses métaphysiques, et y admettent des énormités à faire bondir le sens critique. Ils le sentent et ne s’en occupent pas. Comme pourtant le besoin d’une religion