Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/343

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est de l’humanité, ils trouvent commode de prendre tout fait le système qu’ils rencontrent sous la main, sans examiner s’il est acceptable (141). La religion a toujours été en France une sorte de roue à part, un préambule stéréotypé, comme Louis par la grâce de Dieu, n’ayant aucun rapport avec tout le reste et qu’on ne lit pas, une formule morte. Nos guerres de religion ne sont en réalité que des guerres civiles ou des guerres de parti. Si la France eût eu davantage le sentiment religieux, elle fût devenue protestante comme l’Allemagne. Mais n’ayant pas le sentiment du mouvement théologique, elle n’a pas vu de milieu entre un système donné et la répudiation moqueuse de ce système. La France est en religion ce que l’Orient est en politique. L’Orient n’imagine d’autre gouvernement que celui de l’absolutisme. Seulement quand l’absolutisme devient intolérable, on poignarde le souverain. Voilà le seul tempérament politique que l’on y connaisse. La France est le pays du monde le plus orthodoxe, car c’est le pays du monde le moins religieux et le plus positif. Les types à la Franklin, les hommes d’ici-bas (tout ce qu’il y a au monde de plus athée) sont souvent les plus étroitement attachés aux formules. Que si les gens d’esprit y regardent parfois d’un peu près, ou bien ils se rabattent avec une facilité caractéristique sur notre incompétence à juger de ces sortes de choses, ou bien ils se mettent franchement à en rire. Il y a en France, jusque chez les incrédules, un fond de catholicisme. La pure religion idéale, qui, en Allemagne, a tant de prosélytes, y est profondément inconnue (142). Un système tout fait, qu’il ne soit pas nécessaire de comprendre et qui nous épargne la peine de chercher, voilà bien ce que la France demande en religion, parce qu’elle sent fort bien qu’elle n’a pas le sens délicat des choses