Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/360

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part du ciel. Tout est donc nécessaire dans ce développement de l’esprit moderne ; toute la marche de l’Europe depuis quatre siècles se résume en cette conclusion pratique : élever et ennoblir le peuple, donner part à tous aux délices de l’esprit. Qu’on tourne le problème sous toutes ses faces, on en reviendra là. A mes yeux, c’est la question capitale du xixe siècle : toutes les autres réformes sont secondaires et prématurées ; car elles supposent celle-là. Maintenir une portion de l’humanité dans la brutalité, est immoral et dangereux ; lui rendre la chaîne des anciennes croyances religieuses, qui la moralisaient suffisamment, est impossible. Il reste donc un seul parti, c’est d’élargir la grande famille, de donner place a tous au banquet de la lumière. Rome n’échappa aux guerres sociales qu’en ouvrant ses rangs aux alliés, après les avoir vaincus. Grâce à Dieu, nous aussi nous avons vaincu. Hâtons-nous donc d’ouvrir nos rangs.

La société n’est pas, à mes yeux, un simple lien de convention, une institution extérieure et de police. La société a charge d’âme, elle a des devoirs envers l’individu ; elle ne lui doit pas la vie, mais la possibilité de la vie, c’est-à-dire le premier fond qui, fécondé par le travail de chacun, doit devenir l’aliment de sa vie physique, intellectuelle et morale. La société n’est pas la réunion atomistique et fortuite des individus, comme est, par exemple, le lien qui réunit les passagers à bord d’un même vaisseau. Elle est primitive (146). Si l’individu était antérieur à la société, il faudrait son acceptation pour qu’il fût considéré comme membre de la société et assujetti à ses lois, et on concevrait, à la rigueur, qu’il peut refuser de participer a ses charges et à ses avantages. Mais du moment que l’homme naît dans la société, comme il naît dans la raison,