Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/361

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il n’est pas plus libre de récuser les lois de la société que de récuser les lois de la raison. L’homme ne nait pas libre, sauf ensuite à embrasser la servitude volontaire. Il naît partie de la société, il nait sous la loi. Il n’est pas plus recevable à se plaindre d’être soumis à une loi qu’il n’a pas acceptée, qu’il n’est recevable à se plaindre d’être né homme. Les vieilles sociétés avaient leurs livres sacrés, leurs épopées, leurs rits nationaux, leurs traditions, qui étaient comme le dépôt de l’éducation et de la culture nationale. Chaque individu, venant au monde, trouvait, outre la famille, qui ne suffit pas pour faire l’homme, la nation, dépositaire d’une autre vie plus élevée. Le christianisme, qui a détruit la conception antique de la nation et de la patrie, s’est substitué chez les peuples modernes à cette grande culture nationale, et longtemps il y a suffi. Ainsi, toujours l’homme a trouvé ouverte devant lui une grande école de vie supérieure. L’homme, comme la plante, est sauvage de sa nature on n’est pas homme pour avoir la figure humaine ou pour raisonner sur quelques sujets grossiers à la façon des autres. On n’est homme qu’à la condition de la culture intellectuelle et morale.

Je crois, comme les catholiques, que notre société profane et irréligieuse, uniquement attentive à l’ordre et à la discipline, se souciant peu de l’immoralité et de l’abrutissement des masses, pourvu qu’elles continuent à tourner la meule en silence, repose sur une impossibilité. L’état doit au peuple la religion, c’est-à-dire la culture intellectuelle et morale, il lui doit l’école, encore plus que le temple. L’individu n’est complètement responsable de ses actes que s’il a reçu sa part à l’éducation qui fait homme. De quoi punissez-vous ce misérable, qui, resté