Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/363

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culture morale. Certes, dans l’état présent, où la société ne peut exercer sur tous ses membres une action civilisatrice, il importe de maintenir le châtiment pour effrayer ceux que l’éducation n’a pu détourner du crime. Mais tel n’est pas l’état normal de l’humanité ; car, je le répète, on ne punit pas un homme d’être sauvage, bien que, si l’on a des sauvages a gouverner, on puisse, pour les maintenir, recourir à la sanction pénale. Alors ce n’est plus un châtiment moral, c’est un exemple, rien de plus.

Je reconnais volontiers que, pour qu’un homme arrive aux dernières limites de la misère, là où la moralité expire devant le besoin, il faut qu’a une époque ou à une autre de sa vie il y ait eu de sa faute (j’excepte bien entendu les infirmes et les femmes), qu’avec de la moralité et de l’intelligence on peut toujours trouver une issue et des ressources. Mais cette moralité et cette intelligence, est-ce la faute des misérables, s’ils ne l’ont pas, puisque ces facultés ont besoin d’être cultivées, et que nul n’a pris soin de les développer en eux ?

Tout le mal qui est dans l’humanité vient à mes yeux du manque de culture, et la société n’est pas recevable à s’en plaindre, puisqu’elle en est, jusqu’à un certain point, responsable. En appelant démocratie et aristocratie les deux partis qui se disputent le monde, on peut dire que l’un et l’autre sont, dans l’état actuel de l’humanité, également impossibles. Car les masses étant aveugles et inintelligentes, n’en appeler qu’à elles, c’est en appeler de la civilisation à la barbarie. D’autre part, l’aristocratie constitue un odieux monopole, si elle ne se propose pas pour but la tutelle des masses, c’est-à-dire leur exaltation progressive.