Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/362

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fermé depuis son enfance aux idées morales, ayant a peine le discernement du bien et du mal, poussé d’ailleurs par de grossiers appétits qui sont toute sa loi, et peut-être aussi par de pressants besoins, a forfait contre la société ? Vous le punissez d’être brute ; mais est-ce sa faute, grand Dieu ! si nul ne l’a reçu à son enfance pour le faire naitre à la vie morale ? Est-ce sa faute, si son éducation n’a été que l’exemple du vice ? Et, pour remédier a ces crimes que vous n’avez pas su empêcher, vous n’avez que le bagne et l’échafaud. Le vrai coupable en tout cela, c’est la société qui n’a pas élevé et ennobli ce misérable. Quel étrange hasard, je vous prie, que presque tous les criminels naissent dans la même classe ! La nature, dirai-je avec Pascal, n’est pas si uniforme. N’est-il pas évident que, si les dix-neuf vingtièmes des crimes punis par la société sont commis par des gens privés de toute éducation et pressés par la misère, la cause en est dans ce manque d’éducation et dans cette misère ? Dieu me garde de songer jamais à excuser le crime ou à désarmer la société contre ses ennemis ! Mais le crime n’est crime que quand il est commis avec une parfaite conscience. Croyez-vous que ce misérable n’eût pas été, comme vous, honnête et bon, s’il avait été comme vous cultivé par une longue éducation et amélioré par les salutaires influences de la famille ? Il faut partir de ce principe que l’homme ne naît pas actuellement bon, mais avec la puissance de devenir bon, pas plus qu’il ne naît savant, mais avec la puissance de devenir savant, qu’il ne s’agit que de développer les germes de vertu qui sont en lui, que l’homme ne se porte pas au mal par son propre choix, mais par besoin, par de fatales circonstances, et surtout faute de