Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/373

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point, de vue de notre âge sceptique ; il est trop clair, en effet, que de nos jours où il n’y a plusde dogme, de tels faits seraient exécrables. Massacrer les autres pour son opinion est horrible. Mais pour le dogme de l'humanité ?... la question est tout autre. Qu’un homme soit violent, cruel même, pour défendre sa croyance désintéressée, c’est fâcheux, mais toujours excusable. La persécution ne devient odieuse que quand elle est exercée par des intéressés, qui sacrifient a leur bien-être la pensée des autres.

C’est pour cela qu’il faut juger tout autrement les persécutions de l’Église au moyen âge et dans les temps modernes. Car, dans les temps modernes, elle a cessé d’être ce qu’elle était au moyen âge ; ce n’est plus qu’une vieille domination, usée, gênante, illégitime ; tout ce qu’elle fait pour se maintenir est odieux ; car elle n’a plus de raison d’être. La mort de Jean Hus m’indigne déjà ; car Jean Hus représentait l’avenir ; la mort de Vanini et, de Giordano Bruno me révolte ; car l’esprit moderne était déjà définitivement émancipé. Et quant aux absurdes persécutions religieuses de Louis XIV, il n’y avait qu’une femme étroite et dure, des jésuites et Bossuet qui fussent capables de les conseiller à un roi fatigué. Quand l'Église était la domination légitime, elle avait beaucoup moins à persécuter que depuis qu’elle eut cessé de l’être. La grande et odieuse persécution, l’Inquisition ; n’est devenue quelque chose de monstrueux qu’au xve siècle, c’est-à-dire quand l’Église est définitivement battue par la Réforme. Louis XIV n’a pas eu, que je me rappelle, un seul acte de sévérité à faire pour maintenir sa souveraineté absolue, et cela devait être ; cette souveraineté était légitime, acceptée ; nul homme ne fut plus absolu et moins tyran. La Restauration, au contraire, fut toujours en batailles et en