Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/384

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seraient généralement cultivés et où beaucoup d’idées scientifiques se produiraient (car la science ne saurait exister sans liberté) ; mais que, dans une société composée en grande majorité d’ignorants ouverts a toutes les séductions, et où la force intellectuelle est évidemment en décadence, se borner a défendre ces formes vides, c’est négliger l’essentiel pour s’attacher à des textes de lois à peu près insignifiants, puisque l’autorité peut toujours les tourner et les interpréter à son gré.

M. Jouffroy a dit cela d’une façon merveilleuse dans cet admirable discours sur le scepticisme actuel, que je devrais transcrire ici tout entier, si je voulais exprimer sur ce sujet ma pensée complète « Chacune de nos libertés nous a paru tour à tour le bien après lequel nous soupirions, et son absence la cause de tous nos maux. Et cependant, nous les avons conquises ces libertés, et nous n’en sommes pas plus avancés, et le lendemain de chaque révolution nous nous hâtons de rédiger le vague programme de la suivante. C’est que nous nous méprenons ; c’est que chacune de ces libertés que nous avons tant désirées, c’est que la liberté elle-même n’est pas et ne saurait être le but où une société comme la nôtre aspire. Prenez l’une après l’autre toutes nos libertés, et voyez si elles sont autre chose que des garanties et des moyens : garanties contre ce qui pourrait empêcher la révolution morale, qui seule peut nous guérir, moyens de hâter cette révolution… etc.

Ce n’est pas beaucoup dire que d’avancer que les libertés publiques sont maintenant mieux garanties qu’a l’époque où apparut le christianisme : et pourtant je mets en fait qu’une grande idée trouverait de nos jours pour se répandre plus d’obstacles que n’en rencontra le christianisme