Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/386

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ces libertés ne sont qu’un moyen, qu’elles n’ont de prix qu’en tant qu’elles peuvent faciliter l’avènement des idées vraies. Nous tenons par dessus tout à être libres de produire, et de fait nous ne produisons pas.

Nous avons horreur de la chaîne extérieure, je ne sais quelle fanfaronnade de libéralisme, et nous ne comprenons pas la grande hardiesse de la pensée. L’ombre de l’inquisition effraie jusqu’à nos catholiques, et à l’intérieur nous sommes timides et sans élan, nous nous subjuguons avec une déplorable résignation à l’opinion, à l’habitude, nous y sacrifions notre originalité ; tout ce qui sort de la banalité habituée est déclaré absurde. Sans doute l’Allemagne, à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, avait moins de liberté extérieure que nous n’en avons. Eh bien ! je mets en fait que tous les libres penseurs de notre République n’ont pas le quart de la hardiesse et de la liberté qui respire dans les écrits de Lessing, de Herder, de Gœthe, de Kant. De fait on a pensé plus librement il y a un demi-siècle à la cour de Weimar, sous un gouvernement absolu, que dans notre pays qui a livré tant de combats pour la liberté. Gœthe, l’ami d’un grand-duc, aurait pu se voir en France poursuivi devant les tribunaux ; le traducteur de Feuerbach n’a pas trouvé d’éditeur qui osât publier son livre. C’est là un peu notre manière ; nous sommes une nation extérieure et superficielle, plus jalouse des formes que des réalités. Les grandes et larges idées sur Dieu ont été et sont, en Allemagne, la doctrine de tout esprit cultivé philosophiquement ; en France, nul n’a encore osé les avouer, et celui qui oserait le faire trouverait plus d’obstacles qu’il n’en eût trouvé à Tubingue ou à Iéna sous des gouvernements absolus. D’où viendrait l’obstacle ? De la timidité intellectuelle, qui nous