Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/389

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sible, la chaîne est trop forte : le pape, l’empereur, les rois, les ordres religieux, les universités : et pour soulever tout cela, un pauvre moine. C’est impossible ! c’est impossible ! Plaçons-nous encore à l’origine du rationalisme moderne. Le siècle est enlacé par les jésuites, l’Oratoire, les rois, les prêtres. Les jésuites ont fait de l’éducation une machine à rétrécir les têtes et aplatir les esprits, selon l’expression de M. Michelet. Et vis-à-vis de tout cela, quelques obscurs savants, pauvres, sans appui dans les masses, Galilée, Descartes. Que prétendent-ils faire ? Comment soulever un tel poids d’autorité ? Cent cinquante ans après, c’était fait.

Ainsi toutes les réformes eussent été empêchées, si la loi eût été observée à la rigueur ; mais la loi n’est jamais assez prévoyante, et l’esprit est si subtil qu’il lui suffit de la moindre issue. Il importe donc assez peu que la loi laisse ou refuse la liberté aux idées nouvelles ; car elles vont leur chemin sans cela, elles se font sans la loi et malgré la loi, et elles gagnent infiniment plus à se faire ainsi que si elles avaient grandi en toute légalité. Quand un fleuve débordé s’avance, on peut élever des digues pour arrêter sa marche, mais le flot monte toujours ; on travaille, on s’empresse, des ouvriers actifs réparent toutes les fissures, mais le flot monte toujours jusqu’à ce que le torrent surmonte l’obstacle, ou bien que, tournant la digue, il revienne par une autre voie inonder les champs qu’on voulait lui défendre.