Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/388

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parler et d’écrire, si l’on n’a rien de vrai et de neuf à dire ? À chacun son rôle : persécutes et persécuteurs poussent également à l’éternelle roue ; et après tout les persécutés doivent beaucoup de reconnaissance aux persécuteurs car sans eux ils ne seraient pas parfaitement beaux !

La persécution a le grand avantage d’écarter la petite originalité qui cherche son profit dans une mesquine opposition. Quand on joue sa tête pour sa pensée, il n’y a que les possédés de Dieu, les homme entrainés par une conviction puissante et le besoin invincible de parler qui se mettent en avant. Nos demi-libertés garanties font la partie trop belle à l’intrigue : car on ne risque pas beaucoup, et les tracasseries auxquelles on peut s’exposer ne sont après tout qu’un fonds bien placé pour l’avenir. C’est trop commode. Autrefois, sur dix novateurs, neuf étaient violemment étouffés, aussi le dixième était bien vraiment et franchement original. La serpe qui émonde les rameaux faibles ne fait que donner aux autres plus de force. Aujourd’hui, plus de serpe ; mais aussi plus de sève. En somme, tout cela est assez indifférent, et l’humanité fera son chemin sans les libéraux et malgré les rétrogrades. L’esprit n’est jamais plus hardi et plus fier que quand il sent un peu la main qui pèse sur lui. Laissez-lui carte blanche, il court à l’aventure, et est si content de sa liberté qu’il ne songe qu’à la défendre, sans penser a en profiter.

L’histoire de l’esprit humain nous montre toutes les idées naissant hors la loi et grandissant subrepticement. Qu’on remonte à l’origine de toutes les réformes, elles sembleront régulièrement inexécutables. Plaçons-nous par exemple en 1520, demandons-nous comment l’idée nouvelle fera pour percer cette mer de glace. C’est impos-