Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/400

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fanatique. On se barricade dans son parti pour ne pas voir les raisons du parti contraire. Le sage n’a de colère contre personne, car il sait que la nature humaine ne se passionne que pour la vérité incomplète. Il sait que tous les partis ont à la fois tort et raison. Les conservateurs ont tort ; car l’état qu’ils défendent comme bon et qu’ils ont raison de défendre, est mauvais et intolérable. Les révolutionnaires ont tort ; car, s’ils voient le mal, ils n’ont pas plus que les autres l’idée organisatrice. Or il est absurde de détruire, quand on n’a rien à mettre en place. La révolution sera légitime et sainte, quand, l’idée régénératrice, c’est-à-dire la religion nouvelle, ayant été découverte, il ne s’agira plus que de renverser l’état vieilli pour lui faire sa place légitime ou plutôt alors la révolution n’aura pas besoin d’être faite elle se fera d’elle-même. Toute constitution serait par elle immédiatement abrogée ; car elle serait souveraine absolue. Il en fut ainsi en 89. La révolution était mûre alors ; elle était déjà faite dans les mœurs ; tout le monde voyait une flagrante contradiction entre les idées nouvelles, créées par le xviiie siècle, et les institutions existantes. Il en fut de même en 1830 : la révolution libérale avait précédé, les principes étaient acceptés d’avance. En fut-il ainsi en 1848 ? L’avenir le dira ; toujours est-il remarquable que les plus embarrassés au lendemain de la victoire ont été les vainqueurs. La révolution de 1848 n’est rien en tant que révolution politique ; comparez les hommes et la politique d’aujourd’hui aux hommes et à la politique d’avant Février, vous trouverez la plus parfaite identité. Elle ne signifie qu’en tant que révolution sociale. Or comme telle, elle était certainement prématurée, puisqu’elle a avorté. Les révolutions doivent se faire pour des principes acquis, et non pour des ten-