Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/403

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Je me garderai de suivre l’économie politique dans ses déductions ; les économistes attribueraient sans doute à mon incompétence les défiances que ces déductions m’inspirent mais je suis compétent en morale et en philosophie de l’humanité. Je ne m’occupe pas des moyens ; je dis ce qui doit être et par conséquent ce qui sera. Eh bien, j’ai la certitude que l’humanité arrivera avant un siècle a réaliser ce à quoi elle tend actuellement, sauf, bien entendu, à obéir alors a de nouveaux besoins. Alors on sera critique pour tous les partis, et pour ceux qui résistèrent, et pour ceux qui s’imaginèrent reconstruire la société comme on bâtit un château de cartes. Chacun aura son rôle, et nous, les critiques, comme les autres. Ce qu’il y a de sûr, c’est que personne n’aura absolument raison ni absolument tort. Barbès lui-même, le révolutionnaire irrationnel, aura ce jour-la sa légitimité ; on se l’expliquera et on s’y intéressera.

L’erreur commune des socialistes et de leurs adversaires est de supposer que la question de l’humanité est une question de bien-être et de jouissance. Si cela était, Fourier et Cabet auraient parfaitement raison. Il est horrible qu’un homme soit sacrifié à la jouissance d’un autre. L’inégalité n’est concevable et juste qu’au point de vue de la société morale. S’il ne s’agissait que de jouir, mieux vaudrait pour tous le brouet noir que pour les uns les délices, pour les autres la faim. En vérité, serait-ce la peine de sacrifier sa vie et son bonheur au bien de la société, si tout se bornait à procurer de fades jouissances à quelques niais et insipides satisfaits, qui se sont mis eux-mêmes au ban de l’humanité, pour vivre plus a leur aise ? Je le répète, si le but de la vie n’était que de jouir, il ne faudrait pas trouver mauvais que chacun