Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/404

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réclamât sa part, et, à ce point de vue, toute jouissance qu’on se procurerait aux dépens des autres serait bien réellement une injustice et un vol. Les folies communistes sont donc la conséquence du honteux hédonisme des dernières années. Quand les socialistes disent : le but de la société est le bonheur de tous ; quand leurs adversaires disent le but de la société est le bonheur de quelques-uns, tous se trompent ; mais les premiers moins que les seconds. Il faut dire le but de la société est la plus grande perfection possible de tous, et le bien-être matériel n’a de valeur qu’en tant qu’il est dans une certaine mesure la condition indispensable de la perfection intellectuelle. L’État n’est ni une institution de police, comme le voulait Smith, ni un bureau de bienfaisance ou un hôpital, comme le voudraient les socialistes. C’est une machine de progrès. Tout sacrifice de l’individu qui n’est pas une injustice, c’est-à-dire la spoliation d’un droit naturel, est permis pour atteindre cette fin ; car dans ce cas le sacrifice n’est pas fait à la jouissance d’un autre, il est fait a la société tout entière. C’est l’idée du sacrifice antique, l’homme pour la nation : expedit unum hominem mori pro populo.

L’inégalité est légitime toutes les fois que l’inégalité est nécessaire au bien de l’humanité. Une société a droit à ce qui est nécessaire à son existence, quelque apparente injustice qui en résulte pour l’individu.

Le principe : il n’y a que des individus, est vrai comme fait physique, mais non comme proposition téléologique. Dans le plan des choses, l’individu disparaît ; la grande forme esquissée par les individus est seule considérable. Les socialistes ne sont réellement pas conséquents, quand ils prêchent l’égalité. Car l’égalité ressort surtout de la