Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’œuvre de la nature et de l’organisation fatale des choses. Au fond, la hiérarchie des hommes selon leur degré de perfection n’est pas plus choquante. Ce qui est horrible, c’est que l’individu, de son droit propre et pour sa jouissance personnelle, enchaîne son semblable pour jouir de son travail. L’inégalité est révoltante, quand on considère uniquement l’avantage personnel et égoïste que le supérieur tire de l’inférieur ; elle est naturelle et juste, si on la considère comme la loi fatale de la société, la condition au moins transitoire de sa perfection.

Ceux qui envisagent les droits, aussi bien que le reste, comme étant toujours les mêmes d’une manière absolue, ont des anathèmes contre les faits les plus nécessaires de l’histoire. Mais cette manière de voir a vieilli ; l’esprit humain a passé de l’absolu à l’historique ; il envisage désormais toute chose sous la catégorie du devenir. Les droits se font comme toute chose ; ils se font, non pas par des lois positives, bien entendu, mais par l’exaltation successive de l’humanité, laquelle se manifeste en la conquête qu’elle fait de ces droits. Le fait ne constitue pas le droit, mais manifeste le droit. Tous les droits doivent être conquis, et ceux qui ne peuvent pas les conquérir prouvent qu’ils ne sont pas mûrs pour ces droits, que ces droits n’existent pas pour eux, si ce n’est en puissance. L’affranchissement des noirs n’a été ni conquis ni mérité par les noirs, mais par les progrès de la civilisation de leurs maîtres. Ce n’est pas parce qu’on a prouvé a une nation qu’elle a droit à son indépendance qu’elle se lève : le jeune lion se lève pour la chasse, quand il se sent assez fort, sans qu’on le lui dise. La volonté de l’humanité ne fait pas le droit, comme le voulait Jurieu ; mais elle est, dans sa tendance générale