Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/405

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considération de l’individu, et l’inégalité ne se conçoit qu’au point de vue de la société. La possibilité et les besoins de la société, les intérêts de la civilisation priment tout le reste. Ainsi, la liberté individuelle, l’émulation, la concurrence, étant la condition de toute civilisation, mieux vaut l’iniquité actuelle que les travaux forcés du socialisme. Ainsi, la culture savante et lettrée étant absolument indispensable dans le sein de l’humanité, lors même qu’elle ne pourrait être le partage que d’un très petit nombre, ce privilège flagrant serait excusé par la nécessité. Il n’y a pas en effet de tradition pour le bonheur, et il y a tradition pour la science. Je vais jusqu’à dire que, si jamais l’esclavage a pu être nécessaire à l’existence de la société, l’esclavage a été légitime ; car alors les esclaves ont été esclaves de l’humanité (156), esclaves de l’oeuvre divine, ce qui ne répugne pas plus que l’existence de tant d’êtres attachés fatalement au joug d’une idée qui leur est supérieure et qu’ils ne comprennent pas (157). S’il venait un jour où l’humanité eût de nouveau besoin d’être gouvernée à la vieille manière, de subir un code à la Lycurgue, cela serait de droit (158). Réciproquement, il se peut qu’un jour le droit international s’étende à ce point que chaque nation soit sensible comme un membre à tout ce qui se fera chez les autres. Avec une moralité plus parfaite, des droits qui sont maintenant faux et dangereux seront incontestés ; car la condition de ces droits sera posée, et elle ne l’est pas encore (159). Cela se conçoit du moment que l’on attribue à l’humanité une fin objective (c’est-à-dire indépendante du bien-être des individus) la réalisation du parfait, la grande déification. La subordination des animaux à l’homme, celle des sexes entre eux ne choque personne, parce qu’elle est