Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rovingiens, entre autres, embrassèrent la vie romaine avec une naïveté tout à fait aimable, et, quant aux deux civilisations ostrogothes et visigothes, elles sont si bien la prolongation immédiate de la civilisation romaine qu’elles ajoutèrent un chapitre important, quoique peu original, à l’histoire des littératures classiques. Les barbares ne changèrent rien d’abord à ce qu’ils trouvèrent établi. Indifférents à la culture savante, ils la regardaient sans attention et par conséquent sans colère. Quelques-uns même (Théodoric, Chilpéric, etc.) y prirent goût avec une facilité et une promptitude qui étonnent. Je crois que, si l’empire eût eu au ive siècle des grands hommes comme au second siècle, et surtout si le christianisme eût été aussi fortement centralisé à Rome qu’il le fut dans les siècles suivants, il eût été possible de rendre romains les barbares, avant leur entrée ou dès leur entrée, et de sauver ainsi la continuité de la machine. Il n’a tenu qu’à un fil qu’il n’y eût pas de moyen âge et que la civilisation romaine se continuât de plain-pied. Si les écoles gallo-romaines eussent été assez fortes pour faire en un siècle l’éducation des Francs, l’humanité eût fait une épargne de dix siècles. Si cela ne se fit pas, ce fut la faute des écoles et des institutions, non la faute des Francs ; l’esprit romain était trop affaibli pour opérer sur le champ cette œuvre immense. La question, en un mot, était de savoir si le vieil édifice, où tant de matériaux nouveaux demandaient à entrer, se renouvellerait par une lente substitution de parties qui n’interrompit pas un instant son identité, ou s’il subirait une démolition complète pour être rebâti ensuite avec combinaison des nouveaux et des anciens matériaux, mais toujours sur l’ancien plan.