Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/419

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de se les assimiler, il est indubitable qu’après l’avoir renversée, ils retourneraient à ses ruines pour y chercher les matériaux de l’édifice futur, que nous deviendrions à leur égard des classiques |et des éducateurs, que ce seraient des rhéteurs de la vieille société qui les initieraient à la vie intellectuelle et seraient l’occasion d’une autre Renaissance, qu’il y aurait encore des Martien Capella, des Boèce, des Cassiodore, des Isidore de Séville, bouclant en un viatique portatif et facilement maniable les données civilisatrices de l’ancienne culture, pour en former l’aliment intellectuel de la nouvelle société. Mais il est infiniment plus probable que la civilisation moderne sera assez vivace pour s’assimiler ces nouveaux barbares qui demandent à y entrer, et pour continuer sa marche avec eux. Voyez en effet comme les barbares aiment cette civilisation, comme ils s’empressent autour d’elle, comme ils cherchent à la comprendre avec leur sens naïf et délicat, comme ils l’étudient curieusement, comme ils sont contents de l’avoir devinée. Qui ne serait profondément touché en voyant l’intérêt que nos classes ignorantes prennent à cette civilisation qui est là au milieu d’eux, non pour eux ? Ils me rappellent le naïf étonnement des barbares devant ces évêques, qui parlaient latin, et devant toute cette grande machine de l’organisation romaine. Certes il eût été difficile à Sidoine Apollinaire et à ces beaux esprits des Gaules de crier « Vive les barbares ! » Et pourtant ils l’auraient dû, s’ils avaient eu le sentiment de l’avenir (163). Nous qui voyons bien les choses, après quatorze siècles, nous sommes pour les barbares. Que demandaient-ils ? Des champs, un beau soleil, la civilisation. Ah ! bienvenu soit celui qui ne demande qu’à augmenter la famille des fils de la lumière ! Les barbares sont