Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne rendent ni meilleur, ni plus élevé, ni plus clairvoyant dans les choses divines ; tout au contraire. Un homme sans valeur, sans morale, égoïste, paresseux, fera mieux sa fortune, en jouant à la Bourse, que celui qui s’occupe de choses sérieuses. Cela n’est pas juste ; donc cela disparaîtra.

La ploutocratie est donc peu favorable au légitime développement de l’intelligence. L’Angleterre, le pays de la richesse, est de tous les pays civilisés le plus nul pour le développement philosophique de l’intelligence. Les nobles d’autrefois croyaient forligner en s’occupant de littérature. Les riches ont généralement des goûts grossiers et attachent l’idée de bon ton à des choses ridicules ou de pure convention. Un gentleman rider, fût-il un homme complètement nul, peut passer pour un modèle de fashion. Moi, je dis tout bonnement que c’est un sot.

La ploutocratie, dans un autre ordre d’idées, est la source de tous nos maux, par les mauvais sentiments qu’elle donne à ceux que le sort a faits pauvres. Ceux-ci, en effet, voyant qu’ils ne sont rien parce qu’ils ne possèdent pas, tournent toute leur activité vers ce but unique ; et, comme pour plusieurs cela est lent, difficile ou impossible, alors naissent les abominables pensées jalousie, haine du riche, idée de le spolier. Le remède au mal n’est pas de faire que le pauvre puisse devenir riche, ni d’exciter en lui ce désir, mais de faire en sorte que la richesse soit chose insignifiante et secondaire ; que sans elle on puisse être très heureux, très grand, très noble et très beau ; que sans elle on puisse être influent et considéré dans l’État. Le remède, en un mot, n’est pas d’exciter chez tous un appétit que tous ne pourront satisfaire, mais de détruire cet appétit ou d’en changer l’objet, puisque aussi bien cet