Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/455

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Le but de l’humanité n’est pas le repos c’est la perfection intellectuelle et morale. Il s’agit bien de se reposer, grand Dieu quand on a l’infini à parcourir et le parfait à atteindre. L’humanité ne se reposera que dans le parfait. Il serait par trop étrange que quelques profanes, par des considérations de bourse ou de boutique, arrêtassent le mouvement de l’esprit, le vrai mouvement religieux. L’état le plus dangereux pour l’humanité serait celui où la majorité se trouvant à l’aise et ne voulant pas être dérangée, maintiendrait son repos aux dépens de la pensée et d’une minorité opprimée. Ce jour-là il n’y aurait plus de salut que dans les instincts moraux de la nature humaine, lesquels sans doute ne feraient pas défaut.

La force de traction de l’humanité a résidé jusqu’ici dans la minorité. Ceux qui se trouvent bien du monde tel qu’il est ne peuvent aimer le mouvement, à moins qu’ils ne s’élèvent au-dessus des vues d’intérêt personnel. Ainsi plus s’accroît le nombre des satisfaits de la vie, plus l’humanité devient lourde et difficile à remuer ; il faut la traîner. Le bien de l’humanité étant la fin suprême, la minorité ne doit nullement se faire scrupule de mener contre son gré, s’il le faut, la majorité sotte ou égoïste. Mais pour cela il faut qu’elle ait raison. Sans cela, c’est une abominable tyrannie. L’essentiel n’est pas que la volonté du plus grand nombre se fasse, mais que le bien se fasse. Quoi ! des gens qui, pour gagner quelques sous de plus, sacrifieraient l’humanité et la patrie, auraient le droit de dire à l’esprit : Tu n’iras pas plus loin ; n’enseigne pas ceci car cela pourrait remuer les esprits et faire tort à notre commerce ! La seule portion de l’humanité qui mérite d’être prise en considération, c’est la partie active