Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/460

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est, il n’y a pas d’air pour toutes les poitrines, pas d’emploi pour toutes les intelligences ? L’étude sérieuse et calme n’est-elle pas là ? et n’y a-t-il pas en elle un refuge, une espérance, une carrière à la portée de chacun de nous ? Avec elle, on traverse les mauvais jours, sans en sentir le poids, on se fait à soi-même sa destinée, on use noblement sa vie (175) ». « Voilà ce que j’ai fait, ajoutait le noble martyr de la science à qui j’emprunte cette page, et ce que je ferais encore ; si j’avais à recommencer ma route, je prendrais celle qui m’a conduit où je suis. Aveugle et souffrant sans espoir, presque sans relâche, je puis rendre ce témoignage, qui de ma part ne sera pas suspect il y a au monde quelque chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux que la fortune, mieux que la santé même, c’est le dévouement à la science. »

Je sais qu’aux yeux de plusieurs, cette foi à la science et à l’esprit humain semblera un bien lourd béotisme, et qu’elle n’aura pas l’avantage de plaire à ceux qui, trop fins pour croire au vrai, trouvent le scepticisme lui-même beaucoup trop doctrinaire, et, sans plus insister sur ces pesantes catégories de vérité et d’erreur, bornent le sérieux de la vie aux jouissances de l’égoïsme et aux calculs de l’intrigue. On se raille de ceux qui s’enquièrent encore de la réalité des choses, et qui, pour se former une opinion sur la morale, la religion, les questions sociales et philosophiques, ont la bonhomie de réfléchir sur les raisons objectives, au lieu de s’adresser au criterium plus facile des intérêts et du bon ton (176). Le tour d’esprit est seul prisé ; la considération intrinsèque des choses est tenue pour inutile et de mauvais genre ; on fait le dégoûté, l’homme supérieur, qui ne se laisse pas prendre à ces