Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/461

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pédanteries ; ou bien, si l’on trouve qu’il est distingué de faire le croyant, on accepte un système tout fait, dont on voit très bien les absurdités, précisément par ce qu’on trouve plaisant d’admettre des absurdités, comme pour faire enrager la raison. Ainsi, l’on devient d’autant plus lourd dans l’objet de la croyance qu’on a été plus sceptique et plus léger quant aux motifs de l’accepter. Il serait de mauvais ton de se demander un instant si c’est vrai ; on l’accepte comme on accepte telle forme d’habits ou de chapeaux ; on se fait à plaisir superstitieux, parce qu’on est sceptique, que dis-je, léger et frivole. Le grand scepticisme a toujours été peu caractérisé en France ; à commencer par Montaigne et Pascal, nos sceptiques ont été ou des gens d’esprit ou des croyants, deux scepticismes très voisins l’un de l’autre, et qui s’appuient réciproquement. Pascal voulait emprunter à Montaigne ses arguments sceptiques et leur donner une place de premier ordre dans son apologétique. « On ne peut voir sans joie, dit-il, dans cet auteur, la superbe raison si invinciblement froissée par ses propres armes... et on aimerait de tout son cœur le ministre d’une si grande vengeance, si... (177). »

Quand le scepticisme est devenu de mode, il ne suppose ni pénétration d’esprit ni finesse de critique, mais bien plutôt hébétude et incapacité de comprendre le vrai. « Il est commode, dit Fichte, de couvrir du nom ronflant de scepticisme le manque d’intelligence. Il est agréable de faire passer aux yeux des hommes ce manque d’intelligence qui nous empêche de saisir la vérité pour une pénétration merveilleuse d’esprit, qui nous révèle des motifs de doute inconnus et inaccessibles au reste des hommes (178). » En se posant au delà de tout dogme, on peut à bon marché jouer l’homme avancé, qui a dépassé son