Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/477

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rente pour l’humanité, intéressantes seulement pour ceux qui y prennent une action. Il y a des époques où toute la question est dans la politique : ainsi, par exemple, à la limite du moyen âge et des temps modernes, à l’époque de Philippe le Bel, de Louis XI, les docteurs et les penseurs étaient peu de chose, ou n’avaient de valeur réelle qu’en tant qu’ils servaient la politique. Il en a été de même au commencement de ce siècle. La politique alors a mené le train du monde ; les gens d’esprit qui aspiraient à autre chose qu’à amuser leurs contemporains, devaient se faire hommes d’État, pour exercer sur leur époque leur légitime part d’influence. Un penseur sous l’Empire n’avait qu’à se taire. Ce n’est pas une blâmable ambition qui a entraîné dans ce tourbillon toutes les sommités intellectuelles de la première moitié de ce siècle ; ces hommes éminents ont fait ce qu’ils devaient faire pour servir la société de leur temps. Mais cet âge touche à son terme ; le rôle principal va de plus en plus, ce me semble, passer aux hommes de la pensée. A côté des siècles où la politique a occupé le centre du, mouvement de l’humanité, il en est d’autres où elle s’est vue acculée dans le petit monde de l’intrigue, et où le grand intérêt s’est porté sur les hommes de l’esprit. Soit, par exemple, le xviiie siècle ; qui a tenu la haute main de l'humanité durant ce grand siècle ? Quels sont les noms qui frappent à la première vue jetée sur l’histoire de cette époque ? Est-ce Choiseul ? est-ce Richelieu ? est-ce Maupeou ? est-ce Fleury ? Non ; c’est Voltaire, c’est Rousseau, c’est Montesquieu, c’est toute une grande école de penseurs qui tient puissamment le siècle, le façonne et crée l’avenir. Que sont la guerre de la Succession d’Autriche, la guerre de Sept ans, le pacte de