Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/484

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esprits philosophiques leur ont donné la forme. Qui sait si le phalanstère n’aura pas été la gnose, l’aberration folle du mouvement nouveau ? Il est indubitable au moins que la région est suffisamment désignée, et que, pour savoir d’où viendra la religion de l’avenir, il faut toujours regarder du côté de Liberté, égalité, fraternité.

C’est donc à l’âme, à la pensée, qu’il faut revenir. Or la pensée désormais ne pourra sérieusement s’exercer que sous la forme de science rationnelle. Il semble, au premier coup d’œil, que la science a peu influé jusqu’ici sur le développement des choses. Faites le tableau des hommes d’intelligence qui ont puissamment poussé à la roue, vous aurez des penseurs et des écrivains, comme Luther, Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Lamartine, mais très peu de savants ou de philosophes techniques. Les quatre mots que Voltaire savait de Locke ont fait plus pour la direction de l’esprit humain que le livre de Locke. Les quelques bribes de philosophie allemande qui ont passé le Rhin, combinées d’une façon claire et superficielle, ont fait une meilleure fortune que les doctrines elles-mêmes. Telle est la manière française ; on prend trois ou quatre mots d’un système, suffisants pour indiquer un esprit ; on devine le reste, et cela va son chemin. L’humanité, il faut le reconnaître, n’a pas marché jusqu’ici d’une manière assez savante, et bien des choses ont été (passez-moi le mot) bâclées, dans la marche de l’esprit humain. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que si le genre humain était sérieux comme il devrait l’être, la raison éclairée et compétente en chaque ordre de choses gouvernerait le monde. Or, la raison éclairée et spécialement compétente, qu’est-ce autre chose que la science ? En supposant même que l’érudit ne dût jamais figurer dans la grande histoire