Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/483

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l’imagination qu’avec de nocturnes mystères et d’odieuses orgies ? Nos beaux esprits eussent eu contre la doctrine nouvelle toute l’antipathie qu’ils ont contre les novateurs de nos jours. Ces chrétiens leur eussent semblé une plèbe vile, ignorante et superstitieuse. Il est certain que plusieurs sectes chrétiennes justifiaient les calomnies des païens. La ligne que depuis on a tirée entre l’Église orthodoxe et les sectes gnostiques était alors bien indécise ; tout cela faisait corps, et il y avait solidarité des uns aux autres. Dans la secte orthodoxe elle-même, que de taches à nos yeux. Les médecins ont un nom pour désigner ceux qui croient posséder le don des langues, de prédication, de prophétie. Que dire de ceux qui attendent tous les jours la fin du monde et la venue d’un corps humain qui descendra du ciel pour régner ? Les extravagances de nos fous du phalanstère ne sont rien auprès de celles de ces premiers enthousiastes. Jean Journet, de nos jours, a été mis à Bicêtre ; or Jean Journet ne croit pas faire de miracles, parler des langues qu’il n’a pas apprises, avoir été au troisième ciel, etc. Notre Journal des Débats eût fait gorge chaude de ces gens-là, et cependant ils ont vaincu, et quatre siècles après, les plus beaux génies se sont fait gloire d’être leurs disciples, et, au xixe siècle encore, des intelligences distinguées les tiennent pour des inspirés. La mauvaise couleur d’un mouvement n’est jamais un argument décisif. Je verrais un mouvement populaire du plus odieux caractère, une vraie jacquerie, l’égoïsme disant à l’égoïsme : La bourse ou la vie, que je m’écrierais : Vive l’humanité ! voilà de belles choses qui se fondent pour l’avenir. Les grandes apparitions sont toujours accompagnées d’extravagances ; elles n’arrivent à une grande puissance que quand des