Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/498

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sa vie était complète, sa loi était adéquate a ses besoins. Par la suite, la religion, n’étant plus capable de tout contenir, maudit ce qui lui échappe. Je suis sûr que Beauvilliers prenait un plaisir très délicat aux tragédies de Racine, peut-être même aux comédies de Molière ; et pourtant il est bien certain qu’en y assistant, il ne pensait pas faire une œuvre religieuse, peut-être même croyait-il faire un péché. Ce partage était dans la nécessité des choses. La religion était reçue a cette époque comme une lettre close et cachetée, qu’il ne fallait pas ouvrir, mais qu’on devait recevoir et transmettre, et pourtant, la vie humaine s’élargissant toujours, il était nécessaire que les besoins nouveaux forçassent tous les scrupules, et que, ne pouvant se faire une place dans la religion, ils se constituassent vis-a-vis d’elle. De là un système de vie pâle et médiocre. On respecte la religion, mais on se tient en garde contre ses envahissements ; on lui fait sa part, à elle qui n’est quelque chose qu’à condition d’être tout. De là ces mesquines théories de la séparation des deux pouvoirs, des droits respectifs de la raison et de la foi.

Il devait résulter de là que la religion, étant isolée, interceptée du cœur de l’humanité, ne recevant plus rien de la grande circulation, comme un membre lié, se desséchât et devînt un appendice d’importance secondaire, qu’au contraire la vie profane où l’on plaçait tous les sentiments vivants et actuels, toutes les découvertes, toutes les idées nouvelles, devînt la maîtresse partie. Sans doute ces grands hommes du xviiie siècle étaient plus religieux qu’ils ne pensaient ; ce qu’ils bannissaient sous le nom de religion, c’était le despotisme clérical, la superstition, la forme étroite. La réaction toutefois les entraîna trop