Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/499

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loin ; la couleur religieuse manqua profondément à ce siècle. Les philosophes se plaçaient sans le savoir au point de vue de leurs adversaires, et, sous l’empire d’associations d’idées opiniâtres, semblaient supposer que la sécularisation de la vie entraînait l’élimination de toute habitude religieuse. Je pense, comme les catholiques, que nos sociétés, fondées sur un pacte supposé, notre loi athée sont des anomalies provisoires, et que jusqu’à ce qu’on en vienne à dire : Notre sainte constitution, la stabilité ne sera pas conquise. Or le retour à la religion ne saurait être que le retour à la grande unité de la vie, à la religion de l’esprit, sans exclusion, sans limites. Le sage n’a pas besoin de prier à ses heures car toute sa vie est une prière. Si la religion devait avoir dans la vie une place distincte, elle devrait absorber la vie tout entière ; le plus rigoureux ascétisme serait seul conséquent. Il n’y a que des esprits superficiels ou des cœurs faibles, qui, le christianisme étant admis, puissent prendre intérêt à la vie, à la science, à la poésie, aux choses de ce monde. Les mystiques regardent en pitié cette faiblesse, et ils ont raison. La vraie religion philosophique ne réduirait pas à quelques rameaux ce grand arbre qui a ses racines dans l’âme de l’homme, elle ne serait qu’une façon de prendre la vie entière en voyant sous toute chose le sens idéal et divin, et en sanctifiant toute la vie par la pureté de l’âme et l’élévation du cœur.

La religion, telle que je l’entends, est fort éloignée de ce que les philosophes appellent religion naturelle, sorte de théologie mesquine, sans poésie, sans action sur l’humanité. Toutes les tentatives en ce sens ont été et seront infructueuses. La théodicée n’a pas de sens, envisagée comme une science particulière. Y a-t-il encore un homme