Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/502

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correspond à une idée suffisamment délimitée le summum et l'ultimum, la limite où l’esprit s’arrête dans l’échelle de l’infini. Supposé même que, nous autres philosophes, nous préférassions un autre mot, raison par exemple, outre que ces mots sont trop abstraits et n’expriment pas assez la réelle existence, il y aurait un immense inconvénient à nous couper ainsi toutes les sources poétiques du passé, et à nous séparer par notre langage des simples qui adorent si bien à leur manière. Dites aux simples de vivre d’aspiration à la vérité et à la beauté, ces mots n’auront pour eux aucun sens. Dites-leur d’aimer Dieu, de ne pas offenser Dieu, ils vous comprendront à merveille. Dieu, providence, âme, autant de bons vieux mots, un peu lourds, mais expressifs et respectables, que la science expliquera, mais ne remplacera jamais avec avantage. Qu’est-ce que Dieu pour l’humanité, si ce n’est le rcsumu transcendant de ses besoins suprasensibles, la catégorie de l’idéal, c’est-à-dire la forme sous laquelle nous concevons l’idéal, comme l’espace et le temps sont les catégories, c’est-à-dire les formes sous lesquelles nous concevons les corps (191) ? Tout se réduit à ce fait de la nature humaine : l’homme en face du divin sort de lui-même, se suspend à un charme céleste, anéantit sa chétive personnalité, s’exalte, s’absorbe. Qu’est-ce que cela si ce n’est adorer ?

Si l’on se place au point de vue de la substance, et que l’on se demande : Ce Dieu est-il ou n’est-il pas ? — Oh, Dieu ! répondrai-je, c’est lui qui est, et tout le reste qui parait être. Si le mot être a quelque sens, c’est assurément appliqué à l’idéal. Quoi, vous admettriez que la matière est, parce que vos yeux et vos mains vous le disent, et vous douteriez de l’être divin, que toute votre nature