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ception de Dieu ; car il renferme la perception de l’être et la perception de l’infini. L’infini est dans toutes nos facultés et constitue, à vrai dire, le trait distinctif de l’humanité, la catégorie unique de la raison pure qui distingue l’homme de l’animal. Cet élément peut s’effacer dans les faits vulgaires de l’intelligence ; mais comme il se trouve indubitablement dans les faits de l’âme exaltée, c’est une raison pour conclure qu’il se trouve en tous ses actes ; car ce qui est à un degré est à tous les autres ; et d’ailleurs, l’infini se manifeste bien plus énergiquement dans les faits de l’humanité primitive, dans cette vie vague et sans conscience, dans cet état spontané, dans cet enthousiasme natif, dans ces temples et ces pyramides, que dans notre âge de réflexion finie et de vue analytique. Voilà le Dieu dont l’idée est innée et qui n’a pas besoin de démonstration. Contre celui-là l’athéisme est impossible car on l’affirme en le niant. Partout l’homme a dépassé la nature ; partout, au delà du visible, il a supposé l’invisible. Voilà le seul trait vraiment universel, le fond identique sur lequel les instincts divers ont brodé des variétés infinies, depuis les forces multiples des sauvages jusqu’à Jéhova, depuis Jéhova jusqu’à l’Oum indien. Chercher un consentement universel de l’humanité sur autre chose que sur ce fait psychologique, c’est abuser des termes. L’humanité a toujours cru à quelque chose qui dépasse le fini ; ce quelque chose, il est convenable de l’appeler Dieu. Donc l’humanité entière a cru à Dieu. A la bonne heure. Mais n’allez pas, abusant d’une définition de mots, prétendre que l’humanité a cru à tel ou tel Dieu, au Dieu moral et personnel, formé par l’analogie anthropomorphique. Ce Dieu-là est si peu inné que la moitié au moins de l’humanité n’y a pas cru, et qu’il a