Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/504

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lisme et l’abstraction se touchent ; le christianisme a pu être tour à tour et bon droit accusé de réalisme et d’abstraction. Le phénoménalisme seul est véritable. J’espère bien que personne ne m’accusera jamais d’être matérialiste, et pourtant je regarde l’hypothèse de deux substances accolées pour former l’homme comme une des plus grossières imaginations qu’on se soit faites en philosophie. Les mots de corps et d’âme restent parfaitement distincts, en tant que représentant des ordres de phénomènes irréductibles ; mais faire cette diversité toute phénoménale synonyme d’une distinction ontologique, c’est tomber dans un pesant réalisme, et imiter les anciennes hypothèses des sciences physiques, qui supposaient autant de causes que de faits divers, et expliquaient par des fluides réels et substantiels les faits où une science plus avancée n’a vu que des ordres divers de phénomènes. Certes il est bien plus absurde encore de dire avec exclusion : l’homme est un corps ; le vrai est qu’il y a une substance unique, qui n’est ni corps ni esprit, mais qui se manifeste par deux ordres de phénomènes, qui sont le corps et l’esprit, que ces deux mots n’ont de sens que par leur opposition, et que cette opposition n’est que dans les faits. Le spiritualiste n’est pas celui qui croit à deux substances grossièrement accouplées ; c’est celui qui est persuadé que les faits de l’esprit ont seuls une valeur transcendentale. L’homme est ; il est matière, c’est-à-dire étendu, tangible, doué de propriétés physiques ; il est esprit, c’est-à-dire pensant, sentant, adorant. L’esprit est le but, comme le but de la plante est la fleur ; sans racines, sans feuilles, il n’y a pas de fleurs.

L’acte le plus simple de l’intelligence renferme la per-