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poétique. Sans doute, si les anciens eussent entendu par Dieu ce que nous entendons nous-mêmes, l’être absolu qui n’est qu’à la condition d’être seul, le polythéisme eut été une contradiction dans les termes. Mais leur terminologie à cet égard reposait sur des notions toutes différentes des nôtres sur le gouvernement du monde.

Ils n’étaient pas encore arrivés à concevoir l’unité de gouvernement dans l’univers. Le culte grec, représentant au fond le culte de la nature humaine et de la beauté des choses, et cela sans aucune prétention d’orthodoxie, sans aucune organisation dogmatique, n’est qu’une forme poétique de la religion universelle, peut-être assez peu éloignée de celle à laquelle ramènera la philosophie (193). Cela est si vrai que quand les modernes ont voulu faire quelques essais de culte naturel, ils ont été obligés de s’en rapprocher. La grande supériorité morale du christianisme nous fait trop facilement oublier ce qu’il y avait dans le mythologisme grec de largeur, de tolérance, de respect pour tout ce qui est naturel. L’origine des jugements sévères que nous en portons est dans la ridicule manière dont la mythologie nous est présentée. On se la figure comme un corps de religion, que nous faisons entrer de force dans nos conceptions. Une religion qui a un Dieu pour les voleurs, un autre pour les ivrognes, nous semble le comble de l’absurde. Or, comme l’humanité n’a jamais perdu le sens commun, il faut bien se persuader que, jusqu’à ce qu’on soit arrivé à concevoir naturellement ces fables, on n’a pas le mot de l’énigme. Le polythéisme ne nous paraît absurde que parce que nous ne le comprenons pas. L’humanité n’est jamais absurde. Les religions qui ne prétendent pas s’appuyer sur une révélation, si inférieures comme machines d’action aux religions orga-