Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/508

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nisées dogmatiquement, sont, en un sens, plus philosophiques, ou plutôt elles ne diffèrent de la religion vraiment philosophique que par une expression plus ou moins symbolique. Ces religions ne sont, au fond, que l’État, la famille, l’art, la morale, élevés à une haute et poétique expression. Elles ne scindent pas la vie ; elles n’ont pas la distinction du sacré et du profane. Elles ne connaissent pas le mystère, le renoncement, le sacrifice, puisqu’elles acceptent et sanctifient de prime abord la nature. C’étaient des liens, mais des liens de fleurs. Là est le secret de leur faiblesse dans l’œuvre de l’humanité ; elles sont moins fortes, mais aussi moins dangereuses. Elles n’ont pas cette prodigieuse subtilité psychologique, cet esprit de limite, d’intolérance, de particularisme, si j’osais dire, cette force d’abstraction, vrai vampire qui est allé absorbant tout ce qu’il y avait dans l’humanité de suave et de doux, depuis qu’il a été donné à la maigre image du Crucifié de fasciner la conscience humaine. Elle suça tout jusqu’à la dernière goutte dans la pauvre humanité : suc et force, sang et vie, nature et art, famille, peuple, patrie ; tout y passa, et sur les ruines du monde épuise, il ne resta plus que le fantôme du Moi, chancelant et mal sûr de lui-même.

On a fait jusqu’ici deux catégories parmi les hommes au point de vue de la religion : les hommes religieux, croyant à un dogme positif, et les hommes irréligieux, se plaçant en dehors de toute croyance revêtue. Cela n’est pas supportable : désormais il faut classer ainsi : les hommes religieux, prenant la vie au sérieux et croyant à la sainteté des choses ; les hommes frivoles, sans foi, sans sérieux, sans morale. Tous ceux qui adorent quelque chose sont frères, ou certes moins ennemis que ceux qui n’adorent que l’intérêt et le plaisir. Il est indubitable que je ressem-