Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/538

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possible, mais non en donnant au contribuable les vraies raisons qu’il ne comprendrait pas.

(108) Il faut dire qu’alors ils n’eussent pas existé. L’homme spirituel ne vit jamais de l’esprit. Copernic ne vécut pas de ses découvertes ; il vécut de son exactitude au chœur comme chanoine de Thorn. Les bénédictins du xviie siècle vécurent d’anciennes fondations n’ayant en vue que les pratiques monacales. De nos jours, le penseur et le savant vivent de l’enseignement, emploi social qui n’a presque rien de commun avec la science.

(109) Le type de cette science de grand seigneur à coups de cravache, est M. de Maistre. On ferait une collection des amusantes bévues qu’il débite avec son infaillibité de gentilhomme. Oratio, nous apprend-il, vient de os et ratio (raison de la bouche, ce qui lui paraît d’une admirable profondeur), coecutire, coecus ut ire ; sortir, schorstir ; maison est un mot celtique ; sopha vient de l’hébreu, de la racine schafat, laquelle, dit-il, signifie élever, d’où vient le mot safetim, juge, les éleveurs des peuples (encore un sens profond) Le malheur est que la racine saphan n’est connue d’aucun hébraïsant et que la racine schafat, d’où vient le nom des juges ne signifie en aucune façon élever. Mais c’est égal ; cela fait des éclairs de génie.

(110) Voir une belle page de Laplace, à la fin du Système du Monde, 1" édition.

(111) Voyez dans l’ouvrage d’un missionnaire anglais, Robert Moffat (Vingt-trois ans de séjour dans le Sud de l’Afrique, p. 84, 157, 158), de curieux exemples du mythe improvisé sur place. Je vis un jour un enfant quelque temps pensif, puis tout à coup affirmer sérieusement et avec un étrange caractère d’insistance, qu’il avait vu quelques jours auparavant une tête humaine dans le soleil. Or il était évident que cette pensée venait d’éclore en son cerveau, en se combinant peut-être de quelque souvenir d’almanach. Tel est le procédé qui préside à la formation des mythes les plus anciens : le rêve affirmé.

(112) Où la vie est-elle plus naïve que dans l’animal ? Malebranche donne un coup de pied à une chienne qui était pleine, Fontenelle en est touché : Eh quoi ! reprend le dur cartésien, ne savez-vous pas bien que cela ne sent point ? Le père Poirson prouve ainsi que les bêtes n’ont pas d’âme : la souffrance est une punition du péché ; or les bêtes n’ont pas péché donc elles ne peuvent souffrir, donc elles sont de pures machines. Le P. Bougeant échappait à l’argument, en supposant que les bêtes étaient des démons ; que, par conséquent, elles avaient péché.